Ann Scott a peut-être voulu écrire le film qu’elle a eu envie de voir, et elle réussit, du coup, à nous faire voir celui que nous n’avons jamais vu. Dans tous ses romans, et dans Cortex en particulier, il est question de solitude et d’isolement, et les phrases qu’elle utilise sont si jolies et justes. Chaque virgule, chaque espace, chaque mot, tout est pesé comme une partition de musique.
Cortex.
Nous sommes à Los Angeles, au Dolby Theater, à quelques heures de la cérémonie la plus attendue de l’année à Hollywood : les Oscars.
Toutes les stars, cette année, sont présentes. Du haut du 12 ème étage d’un des bureaux de l’hôtel de ville et à travers la description d’une scène tout à fait ordinaire (une femme de ménage termine son travail), on apprend l’horreur: une bombe a éclaté pendant la cérémonie. Au travers de la baie vitrée, tel un filtre entre le monde et nous, on devine l’ impensable, stupéfait. Sans savoir encore le pourquoi de l’explosion, le destin de trois âmes solitaires va alors se croiser.
Russ Lowell, producteur, 72 ans et jadis sosie de Christopher Plummer, dont la femme vient tout juste de mourir, et qui chapeaute ses équipes pour la dernière fois. C’est un des personnages les plus attachant de ce livre.
Burt Levine, humoriste, ancien scénariste, alcoolique, qui parodie avec talent toutes les stars et dont la douleur irradiant sa poitrine dès le début ne va pas me quitter.
Angie, jeune réalisatrice française, de passage à Los Angeles pour tenter de trouver un producteur qui réalisera son premier film. Elle retrouvera par hasard un amour de jeunesse, Jeff, musicien nommé, ce qui va l’amener à traverser le roman, telle un funambule sur un fil.
L.A, « Le plus grand plateau de tournage en plein air du monde« , devient alors la ville la plus morbide, devant des milliers de personnes, et nous lecteurs, sommes pris d’une frénésie de voyeurisme et de curiosité rarement atteinte en ce qui me concerne.
La description de la scène où, un pieu de métal enfoncé dans la poitrine, Meryl Streep meurt, en dit long sur l’amour qu’Ann Scott porte au cinéma, et sur cette actrice dont la fin va continuer à nous poursuivre.
Et celle où un jeune invité tente de sauver Al Pacino en train de mourir, est probablement la meilleure analyse jamais faite sur l’impact des réseaux sociaux dans notre vie, notre quotidien et dans notre façon de voir les choses.
Ce roman, effrayant et obscur, décrit avec une précision d’orfèvre le travail des secours dans une partie technique qui tient grandement en haleine. Un travail ultra documenté qu’Ann Scott dissecte avec une justesse rare.
Mais le génie ne s’arrête pas là : décrire la ville de Los Angeles alors qu’elle n’y a jamais mis les pieds, nous faire ressentir jusqu’au plus profond de nous le moindre bruissement de palmiers : c’est époustouflant et épatant.
» Le canapé est vide devant le téléviseur éteint « , et la scène des plats de lasagnes laissés par les voisins et entassés dans le réfrigérateur (page 20) est probablement la plus jolie chose écrite sur le deuil.
Cortex est un formidable hommage au cinéma et à son importance sur l’économie mondiale, mais aussi sur notre affectif, sur notre façon de vivre. Tel Billy Wilder dans » Sunset Boulevard » (auquel elle fait allusion par ailleurs), Ann Scott fait une belle déclaration au 7 ème art.
Et le roman pose tant de questions essentielles : « Est-ce la fin du cinéma ou va-t-il parvenir à se reconstruire » , mais aussi sur la société : « Cette société complètement décomplexée dans sa fuite en avant et qu’il (Russ) ne supporte plus« .
Tout y passe, notre cerveau en ébullition retourne chaque question qu’ Ann Scott pose, ça et là, dans chacune de ses lignes.
« Pourquoi on dématérialise tout ce qu’on peut alors qu’on n’en finit pas d’inventer de quoi remplir le quotidien« .
On sort de cette lecture, à la fin incroyable et inattendue, comme on sort d’un grand film.
Ann a mis 7 années pour écrire ce chef-d’oeuvre, 7 années depuis « A la folle jeunesse« . Et, avec « Superstars« ,Cortex termine la plus formidable des trilogies jamais écrites par un écrivain français sur notre génération : Culture DJ, sex, drogue et rock and roll, et les attentats.
Une mythologie moderne malheureusement dans son époque, et je veux bien attendre encore 7 ans pour lire son prochain roman.
« Et il sait que même si tout ce à quoi il a tenu disparait, certaines choses ne changeront jamais« .
Merci Ann Scott pour ce beau roman qui va tous nous suivre cet été.
Merci Ann pour ce grand moment.
Merci Ann de m’avoir, depuis 7 ans, redonné le goût de lire.
Le bien-être, c’est passer un bon moment avec un livre qui nous fait ressentir des choses, c’est lire des phrases qui résonnent en nous.
Le bien-être, c’est refermer un roman et se dire que cette histoire était belle, et être touché.
La lecture contribue à nourrir notre imaginaire et nos fantasmes, et c’est formidable.
Alors, pour les vacances, il ne vous reste plus qu’à vous procurer Cortex, vous passerez un bon moment.
Pour Cortex, c’est par ici : Cortex
Pour lire l’article qui parle le mieux de notre époque, c’est par ici : Chroniques Libération
Pour aller voir le site de Ann Scott, c’est par là : http://www.annscott.fr/